Dimanche 3 Octobre 1999, Le Picotage de la Trousse
Dimanche 3 octobre 1999, le picotage de la trousse
Performance réalisée sur le site des Terrils jumeaux d’Haillicourt avec le soutien de la DRAC Nord Pas-de-Calais, du conseil général du Pas-de-calais, de la commune de Ruitz et de Monac 1.
Performance présentée le dimanche 3 octobre 1999
Crédits photographiques : Thierry Garot, Jean Philippe Matern. Michael Witassek.
Vidéo: Jean Louis Accetone
L’origine de cette performance est la découverte d’un texte ancien sur l’exploitation des mines de charbon. (« Exploitation des Mines » Cours de M. Lecomte – édition de l’Ecole Centrale des Arts et Manufactures de France – 1936).
La première lecture de ce texte m’a tout d’abord intéressé d’un point de vue historique et technique. Un paragraphe particulier à l’interprétation ambivalente a retenu mon attention : « note relative à la pose et au picotage d’une trousse ». La polysémie des mots « picotage et trousse » m’ont incité à réinterpréter le sens initial du texte. Si la trousse est une pièce technique circulaire employée au creusement des puits de mine, elle est aussi un terme commun pour désigner le sexe de la femme. Ce paragraphe sur le picotage de la trousse a révélé alors un sens plus ambigu. Le précis détaillé de Monsieur Lecomte a pris l’aspect d’un livret doté de nombreuses didascalies. Celui-ci décrit les déplacements, la durée de l’opération, les objets, et les actions à mener, il mentionne aussi la particulière délicatesse requise pour les gestes et le choix délicat dans le recrutement des actants. J’ai imaginé de l’interpréter d’un point de vue artistique et de le jouer comme une partition chorégraphique, m’appuyant sur le descriptif précis des gestes du processus d’installation de la trousse par les huit ouvriers mineurs. La note a pris l’aspect d’un rite théâtral initiatique et sacrificiel.
J’ai réalisé une première performance en 1984 dans une usine désaffectée du nord de la France ( « Chorégraphie conçue à partir de Note relative à la pose et au picotage d’une trousse » Usine Flipo Tourcoing – 1984), lors de laquelle huit performers réalisent le travail décrit dans le texte autour d’une trousse interprétée par une danseuse. Au centre d’un polygone d’humus noir, Elle lamine la terre avec une longue règle de métal tandis que les ouvrier la repousse à l’aide de lambourdes et de picots.
J’ai réalisé une seconde performance dimanche 3 octobre 1999, le picotage de la trousse sur les terrils jumeaux de Ruitz dans le Pas-de-Calais. J’ai imaginé d’inverser les genres homme/machine : L’ouvrier, passe de l’état d’humain à l’état de machine, la Trousse, machine, devient une femme. Dès lors, autour d’elle, au sommet d’un des deux terril, huit machines (les ouvriers du texte) s’agitent tour à tour dans des mouvements de va et vient. La réinterprétation du texte dans la performance pose la question de la rentabilité et de l’exploitation des hommes dans le processus de production industriel. Dans le texte initial, l’homme est un outil productif soumis à la tâche technique. La trousse fait l’objet de beaucoup plus d’attention.
Dans cette seconde performance, les spectateurs invités progressent sur la pente d’un des deux terril (terril est), en file indienne le long d’un chemin tracé longtemps auparavant par les rails des wagonnets de déversement. La pente est raide et rectiligne jusqu’au sommet. La procession se lit comme une ligne humaine parfaite du bas en haut du terril. S’ils tournent la tête vers la gauche, ils appréhendent le caractère industriel du paysage similaire au leur. S’ils la tournent vers la droite, ils aperçoivent la Trousse (comme je l’ai dit précédemment l’objet du travail dans le texte, est une femme dans la performance) progressant sur l’autre terril (terril ouest) accompagnée de son installateur. L’identification peut se faire comme à travers un miroir. Les images rendues par les captations vidéos donnent à voir les deux processions parallèles, diffusées par deux projections qui côte à côte rendent aussi cet effet de reflet. Ici l’hommage est rendu à la construction spécifique du paysage transformé par les exploitations minières. Les terrils sont les traces visibles des galeries souterraines qui sillonnent les bas-fonds de la terre. Les spectateurs appréhendent la nature particulière du sol sombre et caillouteux, résidu des galeries creusées. Ils sont les témoins d’un travail à rebours puisque tout est inversé : les ouvriers en machines, la machine en femme, le creusement en érection sur les éboulis. Arrivés au sommet, ils se font voyeurs, ils observent à l’aide de jumelles de vue, le picotage s’opérer sur la Trousse. L’intimité de la relation amoureuse entre la femme-trousse qui transmet désir et énergie et les ouvriers-machines qui projettent leur souffle sous la robe de la Trousse, est pervertie.
« Le picotage de la trousse » est une opération technique utilisée dans le creusement des puits de mines en terrain aquifère. Elle consiste à placer un assemblage octogonal de structures métalliques ou en bois, (la trousse), en compression contre le terrain à l’aide de petits picots en bois (picotage). Cet appareillage est employé pour éviter l’infiltration des nappes d’eau dans les galeries. Ce travail est réservé aux ouvriers expérimentés. (cf : « Note relative à la pose et au picotage d’une trousse » extrait de « Exploitation des Mines Cours de Mr Lecomte – édition de l’Ecole Centrale des Arts et Manufactures de France –1936 ; « De la richesse minérale » A. M. Héron de Villefosse – édition De l’Imprimerie Royale – 1819)
► Lire L’atelier en œuvre Hervé Lesieur, Eric Amouroux – 1998
