José Luis Borges affirmait que, d’un mot, il est possible de décrire le monde. Si je pense à « tigre » par exemple, je peux me représenter aussitôt, sans que je doive réfléchir vraiment pour ce faire, à une gazelle, à l’herbe qu’elle mange, à la terre qui porte l’herbe, l’eau qui nourrit la terre, le nuage qui contient l’eau, le ciel où danse le nuage, le soleil qui y trône, la galaxie qui contient le soleil, l’univers… et retour ! Ainsi, lorsque j’évoque la sphère, je pense à un œuf, même si la naissance d’un être mûri dans et par la sphère est autre qu’une germination animale. Un être né d’une sphère évoque imparablement l’idée de création, laquelle me conduit sans que j’y prenne garde à comprendre les événements selon ce que m’en dicte ma culture – quitte à y revenir mieux armé.
La création fait signe pour nous vers un Dieu omnipotent mais peut-être incapable, pour des raisons trop difficiles à concevoir à échelle de créature, d’aller au bout ultime de son travail. La tradition juive a imaginé ainsi que Dieu, après avoir essayé 26 fois de créer notre monde a composé ce 27e essai dont nous sommes le couronnement mais… cet essai est encore en bien des points raté ! Pour cela le Dieu de la Bible en a-t-il appelé à un peuple, qu’il élit, afin que celui-ci, peuple sacerdotal formant une manière de Cité de Dieu exemplaire avant la lettre de saint Augustin, puisse réparer les – pour ainsi dire – « fautes de création » de ce démiurge maladroit.
Et puis vient la création de l’homme, puisque des humains sortent de la sphère. Si l’on avait voulu éviter les ennuis, l’homme aurait été créé Un, et non pas duel. Il se serait reproduit par une sorte de clonage avant l’heure, comme l’imaginent les théologiens du Moyen-Âge, Adam se reproduisant par lui-même en un autre Adam et ainsi de suite. L’individu toujours semblable à lui-même aurait été identique à son genre et serait resté immortel, quel que soit le nombre de jumeaux engendrés de cette façon.
Mais c’est aussi de cette manière que le Dieu biblique a raté sa création, car le besoin qu’eut le premier homme d’un (une) autre à ses côtés obligeait à concevoir un autre mode de reproduction que le clonage. L’un coupé en deux oblige à la génération du troisième, c’est-à-dire à nettement opposer naître à mourir, donc à perdre l’immortalité présumée. C’est le rôle d’un Diable de montrer aux deux premiers êtres qu’un désastre les attend de se savoir mortels. Il faudra travailler pour survivre, par exemple, au lieu de glaner les fruits de la Terre. Et connaître la souffrance. Se savoir mortel induit qu’un Dieu a mis un terme à l’éternité de l’espèce homme et que cette chute revient à la créature, prise en « faute », et non pas à Lui.
Autant présumer de l’éternelle perte de l’innocence de cette créature-là. L’homme coupable souffre, veut s’ôter l’écharde qui s’est fichée dans sa chair, dénonce son voisin ou lui déclare la guerre, tout de go, et, Dieu que la guerre est jolie ! Avec ses contingents de merveilleux massacres à brandir à la face de cet Eternel incapable, pour le punir, Lui, de ce qu’on n’a jamais su ce qui était premier de l’œuf ou de la poule, de l’Un ou du multiple, du temps ou de l’éternité, l’innocence ou la faute, le diable, la Trinité ou la gnose, mon cher Aristophane du Banquet de Platon !
Ira-ce ?
Jacques Dyck