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Journal d’exposition «À corps perdus», Paul-Armand Gette

À propos de l’exposition « À corps perdus » du 16 mars au 20 aout 2018 au Musée des Beaux Arts d’Arras

NOUS FAISONS DES PROGRÈS TOUS LES JOURS !

Paul-Armand Gette

Si au XVIIIème siècle Diderot pouvait écrire : Il y a une lisière de convention sur laquelle on permet à l’art de se promener (Denis Diderot, Salon de 1767, oeuvre t. XIV, p. 328), aujourd’hui on a supprimé la promenade. Les interdits sont la couverture que le pouvoir se tire sur la tête pour ne pas voir ce qu’il redoute le plus : les effets de la liberté. À New York, on demande le décrochage d’un tableau de Balthus, ailleurs la suppression des affiches annonçant une exposition d’Egon Schiele et ce ne sont que deux exemples parmi tant d’autres. Si une partie des artistes se plient aujourd’hui, par lâcheté ou opportunisme, à ces interdits et font ainsi déferler un pompiérisme qui n’a rien à envier à celui du début du XXème siècle car à force de vider la forme de son contenu elle s’effondre sur elle même, fort heureusement d’autres, à l’échine un peu moins souple, se refusent à servir à leurs contemporains le brouet insipide mitonné dans les gargotes louches du commerce institutionnel. Ce n’est plus la politique de la feuille de vigne, c’est celle de la chape de plomb.

Mais alors, direz-vous, que faire pour respirer un air un peu moins pollué ?

Oh, il n’est nullement nécessaire de casser la baraque, elle est déjà assez déglinguée, ni de refaire le monde, il suffit de pratiquer l’école buissonnière et de se promener (merci Denis) sur les lisières des conventions (là, j’interprète un peu par l’usage du pluriel !). Seulement voilà, les conventions sont de plus en plus conventionnelles, l’obscurantisme gagne du terrain, la culture remplace l’amour de l’art et fait de nous des légumes aussi peu savoureux que les tomates hollandaises. Pourtant l’art reste encore un des rares endroits où la liberté trouve refuge, où les corps peuvent être montrés par les artistes avec cette émotion, cette tendresse voire cet humour que redoutent tant ceux qui ne rêvent que de nous contraindre pour mieux nous asservir et pour cela tous les moyens sont bons, les plus brutaux comme les plus insidieux.

Artiste, on ne le devient pas, on l’est de naissance, ou mettons que j’exagère un peu, disons on le devient vers 5 ou 6 ans. Personne ne s’en aperçoit alors, pas même nous, il nous faut du temps et aux autres aussi pour découvrir que nous ne marchons pas tout à fait droit et n’avons pas la fleur au fusil, mais le sourire aux lèvres. Ces artistes, je suis loin de les croire maudits, je pense qu’ils sont simplement attentifs et pleins de l’envie de vous rendre la vie un peu moins dégueulasse. De ne rien vous imposer, mais de vous proposer de regarder ailleurs que dans la direction indiquée, de soulever pour vous un coin du drap qui recouvre la beauté pour vous donner envie de la découvrir complètement sans violences. Mais la mise à nu n’est pas correcte vous dira-t-on et la beauté étant féminine (enfin le mot), il vaut mieux que selon eux elle reste un peu couverte.

Je me suis aperçu depuis longtemps que la liberté était aussi féminine, elles doivent bien s’entendre ces deux-là et Delacroix avait raison de la peindre la poitrine découverte sur les barricades. Je me souviens aussi qu’ils ont bouclé Louise Michèle, Rosa Luxembourg et Camille Claudel, la peur les rend cruellement stupides.

Que pouvons-nous faire sinon rien ?

Eh bien justement, rien de … ce l’on attend de nous. Il ne s’agit pas seulement de décorer le salon ou la chambre, il faut rompre les habitudes, déciller les regards, suggérer que, peut-être, vous pouvez regarder et aimer (pourquoi pas) sans vous demander si c’est permis ou si un jour ça va valoir un peu plus de sous que ce que vous avez payé. C’est beau d’écrire « Liberté » au fronton des édifices publics, ce serait mieux de la laisser se promener dans la rue.

Quand Hervé Lesieur m’a demandé si je voulais être présent dans son exposition et écrire quelques lignes, je me suis souvenu que je le trouvais déjà bien artiste quand il était élève à l’Ecole des Beaux Arts de Tourcoing et que de la rue de Menin à la « caisse » dans laquelle il voyagea c’était un joli coup de pied qu’il donnait dans la fourmilière. Depuis, nous passons notre temps chacun à notre façon, lui en retournant son jardin, moi en contemplant les dames et personne n’est vraiment satisfait, ce qui n’est pas une raison pour nous arrêter en si bon chemin. Vous pouvez toujours venir voir le résultat, on sera entre nous et avec un peu de chance ça vous donnera des idées !

Paul-Armand Gette

Edition L’être lieu, Journal d’exposition n°10 en chair et en os mars 2018